Interview de Bénédicte Brugière-Kada, directrice territoriale de France Travail Ain-Savoie menée conjointement par Marc Beggiora, président de la CCI Savoie et Laurent Defours, élu au numérique à la CCI Savoie.
• Laurent Defours : France Travail et la CCI, c'est un travail sur de nombreuses années et ensemble on partage les attentes des employeurs, les besoins des employés et des personnes qui cherchent du travail au quotidien.
• Marc Beggiora : Bénédicte, quelles sont les tendances en Savoie sur le marché du travail ?
• Bénédicte Brugière-Kada : Sur cette fin d'année 2023 et en ce début d'année, nous avons un resserrement du marché. Ce qui veut dire une légère baisse des offres d'emploi mais qui reste très supérieure à ce que nous avions avant Covid, avec une légère augmentation des demandeurs d'emploi mais ce sont moins de 14 000 personnes inscrites disponibles en Savoie. Donc, aujourd'hui, nous faisons encore le constat de tensions fortes puisque nous avons deux à trois offres en moyenne par demandeur d'emploi sur la Savoie. Le taux de chômage également est bas puisque nous sommes à 5,4% donc très près du taux dit de plein emploi à 5% et il y a eu une augmentation d'un dixième et qui finalement reste très relative puisque nous restons deux points en deçà du national.
• M. B. : Donc toujours des difficultés de recrutement à vous entendre. Qu'en est-il de l'emploi saisonnier ?
• B. B-K. : Sur la saison d'hiver 2023-2024, au niveau du recrutement, ça s'est très bien passé puisque nous avons eu plus de 4 500 offres et postes qui ont été diffusés. La plupart, 9 sur 10 quasiment, ont été pourvus même si des recrutements se sont poursuivis tout au long de la saison. Et puis les trois agences d'Alberville, Moûtiers et Saint-Jean-de-Maurienne ont eu un partenariat très fructueux avec une centaine d'agences en France pour pourvoir ces recrutements puisque près de 70% des saisonniers viennent d'en dehors de la Savoie.
• M. B. : Ce que les chefs d'entreprise nous remontent, c'est que c'était beaucoup plus qualitatif dans la nature des postes de travail qu'au lendemain du Covid. Donc ça veut dire que l'on retrouve des professionnels et c'est important pour accueillir nos clients.
• M. B. : Un autre sujet très important, c'est la liaison Lyon-Turin, on va dire Barcelone-Rome, parce que Lyon-Turin c'est un peu réducteur. Est-ce que ça aspire autant d'emplois qu'on veut bien nous le dire ?
• B. B-K. : Alors ça en génère surtout beaucoup. C'est-à-dire qu'actuellement nous avons une cellule spécialisée au sein de France Travail qui s'appelle "Mon emploi Lyon-Turin", qui gère en continu à peu près 6 postes de recrutement. Ces nombres de postes vont augmenter vers la fin d'année puisque nous avons l'arrivée des tunneliers et les marchés d'excavation, donc de valorisation des déchets, qui vont se mettre en place. Et il y a un partenariat fort, d'ailleurs structuré autour de ça, pour accueillir les salariés et les entreprises. Nous veillons aussi au sein de cette cellule et, avec l'équipe de Saint-Jean-de-Maurienne, à valoriser l'ensemble des recrutements de la vallée de Maurienne et pas seulement le Lyon-Turin pour éviter justement cet effet d'aspirateur et plutôt utiliser le Lyon-Turin comme un moyen de faire venir des profils aussi pour les autres entreprises.
• L. D. : Comment recruter autrement ? Parce qu'on est tous à la recherche d'un emploi ou de nouveaux employés. Comment peut-on devenir plus efficace ? Pour ça vous avez imaginé une nouvelle méthode, la méthode de recrutement par simulation. Pouvez-vous nous en parler ?
• B. B-K. : La méthode de recrutement par simulation (MRS) est effectivement une méthode qui existe depuis quelques années mais qui monte en gamme énormément et qui vise, en fait, à aller regarder les habiletés, les capacités des personnes en les mettant en situation. Donc on s'exonère en fait du CV, de la lettre de motivation, de l'expérience. Et ce que nous travaillons avec les employeurs c'est l'élaboration de tests qui mettent en condition les personnes comme dans leur entreprise. Et donc ensuite, elles vont avoir une cotation et un entretien simplement de motivation avant d'être recrutées, voire formées même avant d'être recrutées.
• L. D. : Une autre vraie question, c'est la montée en compétences au niveau des formations continues mais également au niveau des financements, pouvez-vous nous en parler ?
• B. B-K. : Effectivement l'aspect développement de compétences est important puisque les presque 14 000 demandeurs d'emploi inscrits n'ont pas forcément les compétences attendues par les entreprises. Et il y a donc des programmes et des financements apportés par les régions, par les OPCO et par France Travail principalement, qui permettent de mettre en place des formations en lien avec les entreprises directement. Certaines se font en centre mais elles sont toujours discutées en termes de thématiques avec les entreprises. Certaines se font aussi dans l'entreprise même. Et là, c'est du sur-mesure puisque une formation dans une entreprise ne sera pas la même que celle de l'entreprise d'à côté.
• L. D. : Vous nous parlez de cette nouveauté, la MRS, mais y a t-il d'autres manières de recruter ? De nouveaux outils, de nouvelles méthodes ?
• B. B-K. : Des nouvelles méthodes oui et non. Il est extrêmement important que les entreprises accueillent les personnes et développent fortement les immersions en entreprise. Il y a d'ailleurs une plateforme "Immersion Facilitée" qui permet de s'identifier comme entreprise accueillante et c'est un très bon moyen de faire connaître ses métiers mais également de pouvoir sourcer des personnes et les embaucher ensuite dans son entreprise. Autre sujet très important, les événements. Il y en a énormément en Savoie, il se passe des choses toutes les semaines et il faut être présent ou se faire représenter éventuellement par une chambre consulaire par exemple, pour mettre en avant ses recrutements et se faire connaître.
• L. D. : Aujourd'hui il faut également sensibiliser les entreprises sur la marque employeur ?
• B. B-K. : Exactement, se faire connaître c'est se faire connaître positivement. On a tous en tête des entreprises qui parfois ne sont pas toujours connues très positivement et parfois c'est très ancien, elles ont évolué et les gens ne le savent pas. Donc sa marque employeur, c'est travailler en fait sur la bonne connaissance de ses métiers, sa culture, tout ce qui est son système d'évolution possible dans l'entreprise et également d'avoir une stratégie de réseaux sociaux quand c'est possible, la plus élaborée, la plus structurée possible puisque beaucoup de personnes aujourd'hui recherchent un emploi par le biais des réseaux sociaux.
• M. B. : Ce que je peux dire, c'est que les chefs d'entreprise n'utilisent pas assez ce que vous venez d'évoquer, on ne sait pas pourquoi, peut-être parce que notre clientèle de la CCI de Savoie qui est de 37 000 clients, à 95% ce sont des entreprises de 1 à 10 salariés.
C'est vrai qu'il faut être staffé pour avoir tout ce qu'on vient d'évoquer et c'est là-dessus où il faut travailler. Alors comment faire pour les aider à travailler sur les nouveaux modèles de communication, surtout vis-à-vis des jeunes, et sur la méthode ?
Tout le monde n'a pas les moyens de payer des conseils en recrutement mais je pense que France Travail c'est le point d'entrée et je pense que l'outil France Travail, s'il y a une réforme qui a été faite là-dessus c'est pour, au contraire, éviter cette dispersion monstrueuse qui fait que beaucoup de personnes, beaucoup d'organismes font plein de choses. Le but c'est l'efficacité.
• M. B. : Donc on compte sur la nouvelle réforme et vous pouvez nous en dire déjà quelque chose aujourd'hui ? Quel est le bénéfice attendu pour nos petites entreprises savoyardes ? Les grosses s'en sortent bien.
• B. B-K. : Les grosses entreprises ont des besoins aussi ceci dit. Mais effectivement, une des cibles prioritaires ce sont les entreprises dans cette réforme puisque la réforme France Travail c'est d'abord la loi plein emploi qui vise aussi à mieux accompagner l'ensemble des demandeurs d'emploi et mieux accompagner les entreprises à recruter. Il y a une cible très particulière sur les toutes petites entreprises donc les moins de 10 ou même moins de 50 salariés qui ont une structuration, ressources humaines moins élaborées. Cette loi va viser plusieurs choses :
Et un autre élément très important de cette réforme qui est au sujet des territoires, puisque les élus locaux au niveau régionaux, départementaux mais infra-départementaux seront totalement associés également à ces démarches et au sein du comité de pilotage, ils auront des décisions à prendre avec nous sur la politique publique à mener.
• L. D. : On va finir par les bons conseils pour les entreprises. Quels sont les 3 trois axes à ne pas oublier et à respecter ?
• B. B-K. : Alors pour mieux recruter, la première chose, c'est : faites-vous connaître ! C'est-à-dire qu'il faut déposer des offres à France Travail ou sur d'autres sites pour l'emploi. Il faut participer aux événements, il y en a un par semaine quasiment en Savoie, dans la plupart des agences. Il faut travailler sa marque employeur également et les réseaux sociaux comme je le disais. Et là des partenaires, comme une chambre de commerce, sont présents pour aider à développer tous ces axes-là.
La deuxième chose c'est investir absolument dans son recrutement. Pensez que déposer une offre, tout le monde va se précipiter, ça n'a jamais existé et ça l'est encore moins aujourd'hui. Donc il faut absolument investir sur ce temps de recrutement, de réception, de travail avec nous. Et puis également d'intégration des salariés pour qu'ils restent.
Et le troisième conseil c'est diversifier. La méthode de recrutement par simulation, accueillir des personnes, proposer des stages, venir sur les forums et donc faire tout pour se faire connaître et valoriser son entreprise et tout ce que l'on a à offrir aux personnes qui recherchent un emploi.
• L. D. : On l'a bien compris, il y a de nombreuses possibilités : la CCI de Savoie est vraiment le relais ?
• M. B. : Je remercie Bénédicte parce que ça fait deux ans qu'on se côtoie dans notre nouvelle mandature pour réinitier cette discussion qu'on avait un peu perdue avec France Travail. Aujourd'hui, on sait que c'est un sujet important, c'est un sujet stratégique pour les chambres de commerce. Elles ne devaient pas s'occuper des ressources humaines jusqu'à la nouvelle mandature et aujourd'hui on a bien compris que, vu les nombreux questionnements qu'on a à la chambre de commerce sur ce problème de l'emploi, on va s'en occuper avec votre aide et on va essayer d'aider à relayer toutes vos bonnes pratiques pour qu'on soit beaucoup plus efficace que nous le sommes aujourd'hui. Même si en Savoie, on n'est pas les derniers de la classe.